Néologues en goguette

Par FRANCIS MIZIO

Les lexiques français du multimédia prolifèrent, la DGLF veut imposer une norme.

"Quelqu'un peut-il me dire ce qu'est un joypad?" Sur la liste de diffusion France Langue, consacrée aux échanges sur la terminologie et la néologie, des gens très pointus en informatique s'interrogent par courriers électroniques. S'ils savent tout du protocole de communication CMIP, beaucoup ignorent le monde des jeux vidéo. Engagés dans des travaux visant à traduire la terminologie anglo-saxonne en français, voilà chercheurs ou professeurs de lettres contraints de savoir comment on joue à Street Fighters II.

Les propositions de termes et de néologismes passent par la liste France Langue ouverte à toute la francophonie branchée sur le Net. Cette liste est "modérée" par Pierre Oudart, membre de la Direction générale à la langue française (DGLF), rattachée au ministère de la Culture. Une même préoccupation anime les participants de France Langue: comment contrôler (ou juguler) le flot de termes anglo-saxons dans le vocabulaire de l'informatique et du multimédia? Afin d'éviter qu'un franglais jargonnant ne s'instaure en francophonie, des commissions françaises de terminologie et de néologie bûchent à tour de mots.

La DGLF héberge ainsi sur son site Web pas moins de cinq glossaires de termes informatiques français, de France, de Belgique, de Suisse ou du Québec. Ainsi un smiley -ce signe typographique symbolisant un visage, très utilisé dans le courrier électronique-, devient, selon les lexiques, une binette, une émoticone, un émoticon, un souriant, un sourire/grimace, un souriard, une mimique, un rictus ou un faciès.

Un télescopage qui risque de dérouter l'internaute francophone, à la recherche d'une terminologie ou d'une néologie "officielle", quel que soit son pays. "L'attitude des Québécois, très directifs, est plus épidermique, estime Pierre Oudart. Nous travaillons avec eux dans un axe de coopération. Nombre d'opérations communes s'étendent au final à la francophonie entière." Pierre Oudart refuse de voir de quelconques antagonismes dans la galaxie francophone: "L'Internet nous permet de créer une néologie active et interactive. Nous ne sommes pas là pour régenter. En mars, un décret paraîtra qui permettra à l'Académie française de valider une liste de termes que nous lui aurons soumis. En attendant, la présence de lexiques différents stimule les réactions et suscite les débats."

Mais certains lexiques ont été conçus parce que les débats en commission n'avançaient pas. Ainsi, Philippe Deschamp, responsable des moyens informatiques de l'Institut national de la recherche en informatique et automatique (Inria) fait partie d'une commission de terminologie et, dans le même temps, est coauteur d'un de ces lexiques. Initiative qu'il explique par un léger agacement devant la lenteur des travaux: "J'aime que ça bouge. Demain tout le monde va parler de slots et de sockets. C'est terrorisant. C'est pourquoi nous avons mis en ligne en 1994, alors que la DGLF préparait son site, notre propre lexique. La DGLF pense que les initiatives vont se fédérer d'elles-mêmes avec le temps. Je crois qu'il faut une dynamique plus forte."

Pour Pierre Oudart, la validation de termes n'est de toute façon pas une fin en soi. "Le plus important n'est pas que le bouton de Nescape What's New soit traduit en français mais qu'il y ait derrière ce bouton des sites francophones. Ce qui compte, ce sont les contenus. Il s'agit d'assurer leur promotion. Mais cela relève de l'initiative privée.".

Francis Mizio

Le site de la DGLF, qui affiche les liens vers les différents lexiques en ligne: http://mistral.culture.fr/culture/dglf/garde.htm